Apprenez à confectionner un oeillet en toile ! (1767)

"Le Bouquetier est celui qui fait ou qui vend des bouquets artificiels. Son art consiste à imiter avec le tafetas, la toile, le papier, les plumes, le parchemin, les cocons de ver à soie & autres matieres convenables, toutes les fleurs & plantes naturelles, & à en distribuer si bien les nuances, qu'on puisse s'y méprendre.
On pourra juger par la façon de faire un œillet, dont nous allons parler, de celle de faire toutes les fleurs en général. 
 
Pour faire un œillet, on prend tout ce qu'il y a de plus beau & de plus fin en toile ; on la savonne jusqu'à ce qu'elle soit d'un beau blanc, après quoi on lui donne un petit œil de bleu.
Après cette opération, on a de l'empois qu'on délaie dans l’eau & on empese la toile un peu plus que du linge ordinaire. Quand elle est empesée on la fait sécher, & quand elle est bien seche, on découpe les feuilles de l'œillet que les Bouquetiers appellent amandes. Ces feuilles se découpent simplement à la main, ou avec un emporte piece, qui est un outil de fer ou d'acier, dentelé comme le sont les feuilles d'un œillet naturel.
Les feuilles étant découpées, on prend un fil de fer ou de laiton, on attache à une de ses extrémités avec du fil deux petits plumeaux, c'est-à-dire deux brins de plumes qui forment ces deux petits pistiles blancs qu'on apperçoit au milieu de l'œillet naturel. Pour lors on songe à faire le cœur ou le bouton de l'œillet, ce qui s'exécute avec du coton en laine, qu'on enduit ensuite d'une pâte composée d'empois & de farine ; quand ce petit bouton est sec, on passe dessus une petite couche de verd tendre.
Après ces différentes opérations, on commence à coudre les feuilles sur le bouton, observant d'y placer d'abord les plus petites ; & d'aller toujours en augmentant ; on les chiffonne avec les doigts à chaque rang pour les friser, comme elles le sont naturellement.
Quand on suppose l’œillet assez gros, on ajuste au bouton ce que les Bouquetiers appellent araigne, & qu'on apperçoit à l'œillet naturel en forme d'étoile. Cet araigne est composé de papier verd. Ensuite on forme le culot, c'est-à-dire, cette espece de calice qui contient toutes les feuilles. Le culot est composé de coton en laine, sur lequel on passe la même couleur qu'on a passée sur le bouton. Pour lors il est question de former la queue de l'œillet ; pour y réussir, on couvre le fil de fer, ou de laiton avec du coton en laine, & on emploie la même couleur que ci-dessus. On ajoute, si l'on veut, tout au long de la tige, de distance en distance, de petites feuilles de velin verd : leur distribution dépend du goût de l’Artiste. Quand on veut que l'œillet soit panaché ou rouge, on le peint en conséquence après toutes les opérations que nous avons détaillées ; observant de mêler un peu de gomme arabique à la couleur qu'on destine à ce travail.
Dans l'œillet, comme dans la tulippe, on doit avoir soin que les panaches soient bien opposés à la couleur dominante, & nullement brouillés ou confondus avec elle. Ou doit de plus observer que les panaches doivent s'étendre sans interruption, depuis la racine des feuilles, jusqu'à leur extrémité. Les gros panaches, par quart ou par moitié de feuilles, sont plus beaux que les petites pieces. La belle largeur d'un œillet est de trois pouces sur neuf ou dix de tour, les plus gros en ont quatorze & quinze On estime beaucoup la multitude des feuilles, parcequ'elle forme une fleur plus délicate. L'œillet est beaucoup plus beau quand il pomme en s'arrondissant avec grace en forme de houppe, que quand il est plat.
Avec trop de mouchetures il seroit brouillé ; avec trop de dentelles il seroit hérissé. Quand l'extrémité des feuilles, au lieu d'être proprement arrondie, s'allonge en pointe, il est affreux c'est le pire de tous les défauts. 
 
Les Bouquetiers à Paris ne composent point une Communauté, & ne sont appellés Bouquetiers, que parce qu’ils font principalement le commerce des bouquets artificiels, ou des fleurs dont on les compose. Le négoce des fleurs artificielles est considérable, non seulement par les grands envois dans les pays étrangers, mais encore par la consommation qui s'en fait en France, & particulièrement à Paris, soit pour l'ornement des autels, soit pour la parures des femmes, qui emploient les plus belles, ou dans les bouquets qu'elles mettent devant elles, ou dans leur coeffure, ou même dans leur habillement, sur tout dans les palatines & les fichus."
 
Extrait de : Dictionnaire portatif des arts et métiers. Tome 1 (1767)
 
Illustration : Portrait de dame à l'oeillet (1754), pastel de Jean Valade
"L'inventaire manuscrit du Département des Arts Graphiques indique : Portrait présumé de Mademoiselle Daleton, femme du botaniste de l'Académie des Sciences."
(Musée Sainte-Croix - Poitiers ; photo Christian Vignaud)
 

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