Vous n'avez plus de poudre pour vos perruques ? Prenez du plâtre ! (1791)

M. du Harpin à Justine / Thérèse :
 
"Vous aurez trois onces de pain par jour, ma fille, une demi-bouteille d’eau de rivière, une vieille robe de ma femme tous les dix-huit mois, et trois écus de gages au bout de l’année, si nous sommes contents de vos services…Il s’agit de frotter trois fois la semaine cet appartement de six pièces, de faire nos lits, de répondre à la porte, de poudrer ma perruque, de coiffer ma femme, de soigner le chien et le perroquet, de veiller à la cuisine, d’en nettoyer les ustensiles, d’aider à ma femme quand elle nous fait un morceau à manger, et d’employer quatre ou cinq heures par jour à faire du linge, des bas, des bonnets et autres petits meubles de ménage. Vous voyez que ce n’est rien, Thérèse, il vous restera bien du tems…"
 
Justine / Thérèse à Mme de Lorsange : 
 
"Vous imaginez aisément, madame, qu’il falloit se trouver dans l’affreux état où j’étois pour accepter une telle place…Si ma cruelle situation permettoit que je vous amusasse un instant, madame, quand je ne dois penser qu’à vous attendrir, j’oserois vous raconter quelques traits d’avarice dont je fus témoin dans cette maison…Vous saurez cependant, madame, qu’on n’avoit jamais d’autre lumière dans l’appartement de M. du Harpin, que celle qu’il déroboit au réverbère heureusement placé en face de sa chambre ; jamais ni l’un ni l’autre n’usoient de linge ; on emmagasinoit celui que je faisois, on n’y touchoit de la vie ; il y avoit aux manches de la veste de monsieur, ainsi qu’à celles de la robe de madame, une vieille paire de manchettes cousues après l’étoffe, et que je lavois tous les samedis au soir, point de draps, point de serviettes, et tout cela pour éviter le blanchissage. On ne buvoit jamais de vin chez lui, l’eau claire étant, disoit madame du Harpin, la boisson naturelle de l’homme, la plus saine et la moins dangereuse. Toutes les fois qu’on coupoit le pain, il se plaçoit une corbeille sous le couteau, afin de recueillir ce qui tomboit ; on y joignoit, avec exactitude, toutes les miettes qui pouvoient se faire aux repas ; et ce mets frit, le dimanche, avec un peu de beurre, composoit le plat de festin de ces jours de repos. Jamais il ne falloit battre les habits ni les meubles de peur de les user, mais les housser légèrement avec un plumeau. Les souliers de monsieur, ainsi que ceux de madame, étoient doublés de fer ; c’étoient les mêmes qui leur avoient servi le jour de leurs nôces.
Mais une pratique beaucoup plus bizarre étoit celle qu’on me faisoit exercer une fois la semaine. Il y avoit dans l’appartement un assez grand cabinet dont les murs n’étoient point tapissés ; il falloit qu’avec un couteau j’allasse raper une certaine quantité de plâtre de ces murs, que je passois ensuite dans un tamis fin ; ce qui résultoit de cette opération devenoit la poudre de toilette dont j’ornois chaque matin et la perruque de monsieur et le chignon de madame…."
 
Extrait de : Justine, ou les Malheurs de la vertu, par Donatien Alphonse François, marquis de Sade (1740-1814)
 
Illustration : Portrait supposé du Marquis de Sade
 

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